Editorial Octobre 2018

On a souvent fait remarquer que la notion même de ‘religion’ ne s’applique pas sans difficulté à la situation japonaise d’aujourd’hui: selon certains observateurs la religion a largement disparu, d’autres la voient partout présente. L’historien des religions Michael Pye propose d’appeler ‘religion primitive’ toute une gamme de symboles, valeurs et rituels présents dans la vie quotidienne et qui s’imposent à l’ensemble de la population «comme allant de soi». Les croyances et les pratiques de telle école bouddhiste particulière, de telle branche du shintô ou encore de telle ‘nouvelle religion’ viendraient ‘s’emboîter’ dans ce fonds commun. Cela apparaît concrètement dans quatre domaines principaux: l’espace (notamment se diriger vers un lieu saint), le temps (le calendrier des fêtes), les festivals qui jouent un rôle d’intégration de la société, enfin les rites de la vie privée (en particulier la vénération des ancêtres).

Dans «Ces femmes qu’on dit mystiques: des chrétiennes en liberté», François Marxer explore, dans l’Europe du 12e siècle, l’essor d’un mouvement de spiritualité féminine. Dans un univers religieux dominé par des hommes, théologiens et clercs qui transmettent leur science en latin, ces femmes choisissent de s’exprimer dans la langue maternelle, celle de la vie quotidienne, et souvent dans un style poétique. Se tenant proches de leur expérience, elles s’ouvrent un passage vers un autrement vivre et un autrement penser, un chemin «non tracé, non indiqué, tout intérieur». Leurs voix viennent du silence et y reconduisent. Elles chantent l’amour dont elles vivent: leur secret, elles ne le gardent pas jalousement. Ce filon de mystique féminine traversera les siècles jusqu’à nos jours.

Dans des pages d’une grande clarté, Dennis Gira dégage, parmi d’autres, trois articulations principales qui caractérisent la méditation bouddhique et la chrétienne: elles mettent en lumière ce qui est propre à l’une et l’autre tradition, elles les distinguent sans les opposer. Tout d’abord, la manière dont la méditation se réfère aux Écritures. À partir de là, l’expérience qui fut celle de Gautama ou de Jésus et la façon dont chacun l’a enseignée et partagée pour conduire à l’ultime: expérience de la nature fondamentale de l’Éveil ou expérience d’une relation confiante au Père. Enfin, l’attitude de compassion ou d’amour. Beaucoup de points particuliers de méthode ou de pratique de la méditation prennent leur sens à partir de ces grandes perspectives.

Jacques Scheuer