Éditorial Avril 2021

À la différence des animaux – et des dieux ? – les humains ont un passé. Chaque civilisation se situe à sa manière dans le cours du temps et se construit un passé. Selon Silvia D’Intino, dans l’Inde védique, grâce aux rituels, le passage du jour à la nuit, les saisons, l’Année revêtent une valeur symbolique en lien avec le cosmos. Dans les Upanishad, l’action individuelle se profile sur la toile de fond d’un passé et entraine des ‘fruits’ qui mettront du temps à mûrir : la loi du karma devient cycle sans fin de (re)naissances et de (re)morts. Plongés dans un fleuve d’impermanence et d’oubli, comment retrouver une prise sur le réel, sur nous-mêmes ?

Chaque religion incorpore son message en des formes précises et reconnues : rites, textes, structures communautaires. Ces formes tendent à se figer en elles-mêmes et à pratiquer au dehors rivalité et intolérance. L’image se dégrade en idole ; la conviction se mue en besoin de sécurité. Tout en dénonçant ces dérives, Javier Melloni invite avec finesse à saisir la balle au bond. Le voisinage de religions diverses, notamment dans nos sociétés sécularisées, est un atout : la rencontre de l’autre dans le respect des différences invite à partager la plénitude au lieu de se faire concurrence entre totalités exclusives.   

Guanyin figure en bonne place dans le bouddhisme de Chine et d’Extrême-Orient. D’autres courants du bouddhisme l’ignorent. Partant de là – et au prix de petits détours par Saint Nicolas et par la danse – Edel Maex montre qu’une question telle que « Guanyin existe-t-elle ? » n’a pas vraiment la même portée en Extrême-Asie et en Occident.

Pour différentes raisons, à droite comme à gauche de l’échiquier politique indien, on néglige l’histoire du christianisme dans le pays, se contentant de clichés superficiels. Historien et journaliste, Siddhartha Sarma met en lumière des formes de présence chrétienne plus anciennes et variées qu’on ne le pense couramment. Une manière pour lui d’honorer la diversité de l’histoire et de la société indiennes. –  Le brahmane bengali Brahmabandhab Upadhyay (1861-1907) est l’une des figures originales de cette histoire. Éducateur, journaliste, militant nationaliste, ami de Tagore, il fut aussi, avec une riche inventivité, un pionnier de la formulation du message chrétien selon le génie et la culture de l’Inde.

      Jacques SCHEUER